7 jours de 1944 dans le Val d’Amour, 7 jours tragiques que nous ne devons pas oublier…
"Le 15 août 1944, les 1° Armée Française et 7° Armée Américaine ont débarquées en Provence. Les forces Françaises sont chargées de libérer Marseille et Toulon tandis que les Américains montent vers le nord pour rejoindre les forces alliées venant de Normandie.
Jusqu’à la mi-août, il n’y a pas de problème dans le Val d’Amour.
Le 29 août, une quarantaine de soldats de la Wehrmacht, en grande partie des Russes appartenant à la compagnie de Cosaques cantonnée à Belmont, arrivèrent à Ounans, vers 11 h du matin. Ils achetèrent du pain au magasin AIGROT-CARLE, demandèrent des vivres dans quelques maisons, puis repassèrent la Loue sans autre incident. Ils se rendirent ensuite à Santans, puis Montbarrey et dans ces deux villages pillèrent, ramassant bicyclettes et argent, puis ils rentrèrent à Belmont. Des groupes de résistants, apprenant ces pillages, décidèrent d'attaquer la petite garnison de Belmont. L'attaque devait avoir lieu à l'aube du mercredi. La résistance vint donc prendre position à Montbarrey dans l'après-midi du mardi, un barrage fut établi sur le pont d'Ounans à Montbarrey. Malheureusement ce plan fut, parait-il, livré aux allemands par deux femmes de Dole, de passage à Montbarrey et se rendant à Belmont. A peine en position, le groupe de résistance fut attaqué à Montbarrey par les Allemands. Un obus de mortier tomba en plein sur la maison où se trouvait le premier poste de résistance, la maison fut incendiée. La résistance donna l'ordre de repli, trois jeunes furent tués et deux blessés, la population de Montbarrey effrayée, se réfugia presque entièrement à Ounans.
Le mercredi 30, un groupe de résistance d'environ 200 hommes s'établissait solidement à Chamblay, avec ordre d'interdire tout passage. Dans la matinée, les deux femmes accusées d'avoir trahi l'attaque de Montbarrey, se rendaient à Chamblay, en passant par Ounans. Signalées par les habitants de Montbarrey qui les avaient reconnues, elles furent arrêtées au barrage de Chamblay et mises en lieu sûr.
Ce même jour au matin, rue du bois à Chamblay, une escarmouche s’est produite entre des cyclistes de l’armée allemande et un groupe de maquisards. Un militaire allemand fut tué.
Le 2 septembre, un Allemand passant dans le village d'Ounans, et faisant semblant d'être perdu, demanda à plusieurs habitants s'ils n'avaient pas vu ses camarades. Il se rendit à l'extrémité Est du village et inspecta à la jumelle dans la direction de Chamblay, puis repartit vers le bois et tira plusieurs coups de fusil. Quelques minutes plus tard, un groupe de 47 allemands à bicyclette, armés de fusils, fusil-mitrailleur et d'un mortier, arrivaient de la direction de Montbarrey et se dirigeaient avec précaution sur Chamblay. Le groupe de résistance, en position entre Chamblay et Ounans comprenait une section de Russes. Deux hommes de cette section furent détachés pour parlementer avec leurs compatriotes de la Wehrmacht ; les Allemands se camouflèrent dans le fossé qui borde la route, sauf deux qui furent envoyés pour parlementer. Le palabre ne donna aucun résultat. Quand les deux allemands furent à une distance convenable, les fusils-mitrailleurs de la résistance entrèrent en action et les Allemands se retirèrent comme ils purent.
A Ounans, on en compte 36 à leur passage, ils étaient presque tous à pied et reprirent sans bruit le chemin de Belmont ; le lendemain, on en a trouvé 2 qui étaient tués, ils avaient laissé sur le chemin ou dans les champs voisins 34 bicyclettes et la remorque qui contenait les munitions du mortier.
Dans la nuit du 3 au 4 septembre, il éclata un gros orage. Durant l'orage, il arriva de nouveau à Ounans, par le chemin qui longe le bois dans la direction de Mont-sous-Vaudrey et à pied, une autre patrouille, commandé par le lieutenant de Belmont et son feldwebel. Cette patrouille entra dans la maison d'Edmond Tissot où il y avait encore de la lumière et se firent servir à manger et à boire, puis elle se fit ouvrir avec menace le magasin Aigrot-Carle qu'elle pilla. Monsieur Carle vit disparaitre successivement sa machine à écrire, son appareil téléphonique, un imperméable, 12 000 francs, ses jumelles, puis des bouteilles de vin ou de liqueur, des confitures, du beurre, etc.…les Allemands se retirèrent ensuite sans autres méfaits.
Le 4 septembre fut le jour le plus tragique. Le matin, vers 6 h, une colonne allemande, venant toujours de Belmont passait à Ounans et se dirigeait du côté de La Ferté. D'après des renseignements recueillis ultérieurement, elle aurait été composée de près de 100 hommes et aurait l'intention d'exécuter des représailles sur le village de Chamblay. Dans la matinée, les groupes de résistances de Chamblay devaient se rendre à Salins pour une revue. Avertis de la présence des Allemands, ils ramenèrent un contingent qui se révéla insuffisant.
Vers 11h30, un accrochage sérieux a eu lieu entre Chamblay et Chatelay entre des troupes du génie allemande chargées de faire sauter les ponts sur la Loue et les groupes de résistants de Chissey et Chamblay aidés par un renfort venu d'Arc et Senans. Ces troupes furent attaquées après avoir dynamitées le pont de Chissey-Ecleux. 17 allemands furent tués, 25 fait prisonniers, 3 camions et une voiture touriste.
Dans l'après-midi vers 15h pendant que les groupes de la résistance pourchassaient le long de La Loue les Allemands qui avaient pu échapper à l'attaque de Chissey, la colonne de Belmont débouchait à Chamblay par le bois, venant de St Cyr. Dans la rue du bois, les Allemands ramassèrent 11 hommes et jeunes gens qu'ils rencontrent ou trouvèrent dans les maisons. Il s’agissait de Auguste Aigrot, Lazare Brochet, Bernard Bruet âgé de 14 ans, Edouard Conry, Dominique Descombe, Claude Henrioud, Pierre Henrioud, l’instituteur Raymond Ponsot, Henri Pouthier, Félix Raichon et Herbert Saurensaine. Ils pilèrent les maisons où ils passèrent, ramassant argent et bijoux. Ils mirent ces hommes devant eux et tirèrent par-dessus leurs épaules sur les hommes de la Résistance qui se retiraient. Le FFI Raoux qui participe à son premier combat fut tué. Arrivé devant l’hôtel Conry, les otages furent alignés pour être exécutés
C’est à ce moment que des véhicules de la Résistance arrivèrent. Les Allemands blessèrent plusieurs hommes de la résistance, parmi lequel le Capitaine Allard, son adjoint l’adjudant Nino et son chauffeur Maxime Tisserand. Allard et Tisserand furent ensuite sauvagement assassiné par les nazis. L’adjoint de Allard réussi à se sauver dans les rues à l’arrière du village alors que des combats étaient engagés entre les résistants et les Allemands. Nino fut évacué dans une bétaillère à l’hôpital de Salins accompagné de Madame Jeanine Geiss.
Les otages, dont certains avaient combattu durant la grande guerre, profitèrent des combats pour se sauver et se cacher dans les champs à l’arrière de l’hôtel.
Durant les combats de l’hôtel Conry, d’autres civils furent pris en otage (Jacques Brochet âgé de 16 ans, Louis Bruet, Antoine Gaillard et Louis Vautrey) Louis Bruet âgé de 67 ans sera exécuté d’une balle dans la tête car il portait un ceinturon militaire. Jacques Brochet, choqué, restera plusieurs nuits sans dormir.
Le massacre allait continuer quand un officier donna l'ordre de repli. Avant de se retirer, ils firent sauter les moteurs des automobiles et camions. Ils reprirent alors un des camions pris à Chissey et prirent dans la direction d'Ounans. Cette décision prise brutalement semble s'expliquer ainsi : ils avaient aperçu dans un camion, un drapeau américain accroché par la Résistance et crurent que les Américains étaient là. Les habitants de Chamblay durent la vie à cette découverte providentielle.
Durant le déplacement du groupe vers Ounans, un jeune homme, Alfred GROS, âgé de 31 ans, qui sarclait dans les champs fut blessé et devait mourir dans la nuit à l'hôpital de Salins.
Entre Chamblay et Ounans, en ces lieux, moins d’une dizaine d'hommes avaient pris position pour protéger le pont qui enjambe le ruisseau de Clairvans, deux fusils mitrailleurs aux abords du pont et le reste du groupe patrouille dans les champs de maïs et aux abords du ruisseau. Dans l'action, les groupes d'allemand attaquent les maquisards qui protègent le pont sur la RN 72. Après un combat acharné, plusieurs maquisards ont été tués, quelques-uns arrivent à s'échapper, dont Joseph Boukatime qui mourra noyé en voulant traverser la Loue en crue. On retrouvera son corps au barrage d’Ounans. Deux restés sur place se sortiront de ce guêpier en se dissimulant dans les buissons, il s'agit de Georges Pointurier et de Henri Francioli, frère de Maurice qui est décédé à l’âge de 18 ans à ses côtés.
A Ounans, les allemands fouillèrent quelques maisons, pensant y découvrir des "terroristes". Ils donnèrent l'impression d'être fous furieux et brutalisèrent quelques hommes qui étaient tranquillement chez eux. A la sortie du village, ils emmenèrent 3 hommes comme otages, les poussant devant eux à coups de bottes et de crosses, il s’agissait de Clovis VACHERET, son fils Francis et Edouard LIMAT, menaçant de les fusiller si on leur tirait dessus.
Une heure environ après leur passage, 2 jeeps américaines venant de Mouchard, accompagnées de résistants arrivaient en renfort, l'une armée d'une mitrailleuse, l'autre d'un canon d'infanterie. Elles durent aller jusqu’à Mont-sous-Vaudrey avant de rencontrer les Allemands.
Ceux-ci venaient de tuer près du pont de la Cuisance, deux électriciens d'Arbois voyageant dans leur camionnette et avaient mis le feu à une maison de Vaudrey. Un Allemand s'apprêtait à jeter une grenade incendiaire sur la maison voisine quand il fut tué par les Américains.
Dans la soirée, les trois hommes emmenés comme otages rentraient à Ounans. Les Américains étaient arrivés en force à Mont-sous-Vaudrey par la route de Poligny et avaient occupés le village avec des autos blindés.
Après ces combats les Allemands continueront direction de Dole, semant le mort le long de leur déplacement et la destruction des ponts de Montbarrey, Belmont et Parcey. De nombreux autres ponts seront détruits sur le Doubs. Dole sera libéré le 9 septembre.
En 1944, la guerre est terminée dans le Val d’Amour, mais les combats dureront encore 9 mois en Europe et 1 an pour le reste du monde."
La première cérémonie du souvenir a été organisée au monument aux morts de la commune de Chamblay en 1945 sous l’impulsion du curé ROY curé de Ounans et Chamblay. Cette cérémonie a rassemblé de nombreux maquisards et habitants des communes.
Durant cette cérémonie, nous rendons hommage aux hommes morts pour la France dans le Val d’Amour. Mais nous devons avoir une pensée pour les femmes, les hommes qui ont participé à ce conflit, comme combattants, comme passeurs, comme imprimeurs, comme estafette etc… N’oublions pas toutes les personnes déportées, torturées, exécutées… N’oublions pas et intensifions la lutte contre les idéologies qui peuvent entrainer les hommes à commettre des gestes impardonnables. L’année 1945 marque la fin de la seconde guerre mondiale, mais le début d’un autre conflit la guerre froide.
Ces "7 jours" de septembre 1944 ont été présentés par Philippe Brochet, maire de Chamblay, dans son discours au cours de la cérémonie commémorative des 80 ans de la Libération du Val D'Amour.